OKR : 6 erreurs à éviter pour réussir votre démarche
"Nous avons implémenté les OKR comme Google, mais les résultats ne sont pas au rendez-vous" : c’est une phrase que nous entendons beaucoup chez essensei.
Née chez Intel, popularisée par Google, la méthode “Objective Key Results” est un outil d’exécution de stratégie datant des années 1970. Cette démarche est redevenue d’actualité et les implémentations se sont multipliées ces dernières années. Pourtant, un constat s'impose : les mêmes erreurs se répètent avec une régularité déconcertante, amplifiées par nos spécificités culturelles françaises.
Ces échecs ne sont pas dus au hasard. Ils révèlent une mécompréhension profonde de ce que représentent véritablement les OKR dans les organisations françaises, où l'héritage bureaucratique et l'absence du droit à l'erreur créent des résistances structurelles.
Voici une liste des six erreurs les plus souvent constatées dans nos accompagnements OKR ainsi que nos conseils pour les éviter :
1 - La confusion entre KPI et Key Result
C'est l'erreur fondamentale que commettent la majorité des entreprises lors de leur(s) premier(s) cycle(s). Elles recyclent leurs tableaux de bord existants en les rebaptisant "OKR", créant ainsi une illusion de transformation.
Un directeur commercial m’a partagé un jour cet OKR : Objectif : Exceller en performance commerciale Key Results :
Il venait en fait de me présenter ses KPI de pilotage d’activité, basés vraisemblablement sur ses objectifs personnels… |
Mais alors, quelles sont les différences entre les KPI et les OKR ? Et pourquoi la plupart des entreprises les confondent si aisément ?
On a tendance à les confondre facilement car ce sont des métriques, mais en termes d’intention, de méthode et d’usage, on a bien affaire à deux outils différents.
Les KPI mesurent la santé actuelle de votre business (votre température corporelle), les OKR définissent votre évolution future (le programme d'entraînement à suivre pour courir votre prochain marathon). Un KPI vous dit où vous en êtes, un OKR vous dit où vous voulez aller.
Notre conseil : vos Key Results doivent incarner une progression mesurable vers un état futur désirable et challengeant ; c’est le fameux objectif OKR. Remplacez "Maintenir 95% de satisfaction client" par "Faire passer notre NPS de 32 à 50 d'ici Q4 grâce à la refonte de l'expérience post-vente."
2 - Le culte de l'objectif atteint à 100%
Le deuxième constat qui nous frappe dans la majorité des contextes où nous sommes intervenus est la tendance des équipes à ajuster leurs objectifs à la baisse pour garantir leur atteinte. Ce que l’on voit à l’œuvre, c'est un mécanisme d’auto-censure globalement inconscient, enraciné dans une peur de l’échec.
Dans un contexte professionnel français où la performance individuelle est scrutée et conditionnée par l'obsession de la note parfaite, les managers préfèrent un succès certain à un échec instructif.
Le Directeur du département où je suis intervenue me confiait lors d’une revue de fin de cycle : "Nous atteignons toujours nos OKR à 95-100%." Après analyse, leurs "objectifs ambitieux" étaient en réalité de simples projections de leur croissance naturelle. Mais dans les faits, rien n’avait concrètement changé dans le mode de travail des équipes … |
Notre conseil : adoptez la philosophie Moon Shot. Google a popularisé la règle des 70%. Pourquoi ? Parce qu'un objectif véritablement ambitieux atteint à 70 % génère plus de valeur qu'un objectif médiocre réussi à 100 %.
3 - La décentralisation sans gouvernance : un générateur de chaos
Si la démarche OKR promeut la coconstruction et la montée en responsabilité des équipes, cela ne veut pas autant dire que les équipes travaillent de façon déconnectée du reste de l’organisation. L’autonomie nécessaire au niveau équipe ne veut pas dire absence de cadre ou de trajectoire cohérente avec la stratégie de l’entreprise.
J’ai observé un exemple marquant de ce phénomène sur le terrain : 4 équipes, une vingtaine d’objectifs, zéro cohérence. L'équipe marketing optimisait l'acquisition de leads B2C pendant que l'équipe produit se concentrait sur les fonctionnalités B2B demandées par les commerciaux. Six mois plus tard : beaucoup d'activité, peu de résultats, des moyens gaspillés, des équipes désabusées et épuisées … |
Notre conseil : adaptez la structure de déploiement de la démarche à votre organisation en vous obligeant à limiter le nombre de niveaux, quitte à ne pas suivre la structure de l’organigramme.
Chaque niveau raffine le précédent sans le dénaturer. Nous promouvons la règle du "golden thread" : chaque OKR d'équipe doit être traçable jusqu'à un objectif stratégique de l'entreprise. Nous invitons aussi les managers à aider les équipes à s’assurer que les OKR proposés font sens au-delà de l’équipe et sont alignés avec les travaux des autres équipes.
4 - La tentation de l’exhaustivité
Notre cerveau ne peut se concentrer efficacement que sur 3 à 7 éléments simultanément : c’est la loi de Miller. Une organisation est un cerveau collectif amplifié, qui présente le même type de limitation. L’accumulation de priorités noie la capacité des équipes à se focaliser sur les vrais sujets : quand tout est prioritaire, rien ne l’est vraiment…
J'ai accompagné une entreprise avec 45 "objectifs prioritaires" répartis sur 8 équipes. Chaque manager jonglait entre 6 à 8 priorités concurrentes. Résultat prévisible : quasiment aucune progression concrète vers l’atteinte de ces objectifs, épuisement généralisé, démotivation des équipes, rejet de la démarche perçue comme un travail supplémentaire sans valeur ajoutée. |
Notre conseil : appliquez le conseil de John Doerr (un des auteurs phares de la démarche OKR, qui l’a introduite chez Google) et limitez-vous à trois OKR, chacun comportant de trois à cinq key results. Cette contrainte force un exercice de priorisation certes brutal, mais salutaire.
5 - Le piège de la mesure des moyens
"Réaliser 24 entretiens prospects par mois" n'est pas un Key Result, c'est un moyen à peine déguisé, un input. Un KR correctement formulé pourrait être “Décrocher 20 seconds rendez-vous avec de nouveaux prospects” : ce KR décrit un résultat obtenu (output). Cette confusion révèle une incompréhension du concept même de "résultat".
La différence Input vs Output est centrale dans la compréhension de la démarche OKR. Les inputs sont ce que vous investissez (temps, argent, effort), les outputs ce que vous obtenez (résultats, impact, transformation).
Les KR doivent mesurer exclusivement des outputs, là où la partie Objectif doit retranscrire l’outcome (impact) recherché. C’est cette structure qui est la marque d’un OKR de qualité.
Écrire un KR centré sur un input est une incitation à se concentrer sur les moyens au détriment de la recherche d’impact.
Notre conseil : utilisez le test de la causalité pour évaluer la pertinence de vos Key Results. Pour chaque Key Result, posez-vous cette question : "Si j'atteins ce chiffre mais que rien ne change dans mon business, ai-je vraiment réussi ?" Si la réponse est non, vous mesurez probablement un input.
6 - La dilution des OKR dans le quotidien
Comment s’assurer que les priorités portées par les OKR restent bien visibles dans le flux des sollicitations et des urgences de la vie courante ?
Un risque majeur au niveau de la mise en place de la démarche de faire passer le suivi des OKR au second plan dans le quotidien des équipes.
Les OKR sont alors vécus comme un process de plus, un n-ième outil à la mode, une lubie managériale. Les KR ne sont consultés que lors des revues de cycle, les objectifs ne sont mis en lumière que de façon épisodique et on n’a pas (ou on ne prend pas) le temps de travailler sur les initiatives qui permettraient de faire bouger les choses…
Notre conseil : intégrez formellement dans le fonctionnement courant des équipes les pratiques permettant de suivre et de faire vivre vos OKR, idéalement dans des réunions existantes.
Voici un exemple de ce que vous pouvez mettre en place en termes de gouvernance :
- Point de suivi hebdomadaire (15 minutes), focus sur les Key Results
- Revue intermédiaire mensuelle (1h) : analyse des tendances, ajustements à la marge
- Revue en fin de cycle (trimestrielle par exemple - 2h) : bilan critique du cycle, apprentissages et améliorations à mettre en place, définition des OKR pour le cycle suivant
Management à la française : une culture peu favorable au succès des OKR
Le management à la française comporte des spécificités dont l’esprit va à l’encontre des principes de la démarche OKR. Si vous vous lancez dans le déploiement de la démarche, nous vous invitons à prêter attention à ces quelques points :
- Une tendance à la bureaucratie : notre modèle managérial, hérité de la tradition napoléonienne et des grandes administrations, privilégie la planification détaillée et à long terme, le contrôle hiérarchique et l'aversion au risque. Cela génère un écosystème qui invite à la conformité, au respect des règles en place, et qui de ce fait sape l’innovation.
- Le syndrome de l'école d'ingénieur : dans l'écosystème français, dominé par les formations d'excellence, la culture du "zéro défaut" règne en maître. Transposer cette mentalité aux OKR transforme l'outil d'innovation en instrument de contrôle qualité, voire pire de mesure de la performance individuelle (OKR individuel).
- L'absence du droit à l'erreur : contrairement aux cultures anglo-saxonnes qui célèbrent les "good failures", la France entretient une relation toxique avec l'échec. Un OKR atteint à 70% est inconsciemment perçu comme une note de 7/10, passable, mais décevante, au lieu d’être reconnu comme une avancée significative vers l’objectif, le futur désiré de l’organisation.
Nos conseils :
Dédramatisez l'échec, investissez massivement dans la mise en place d’une culture d’apprentissage et d’amélioration continue, faites du droit à l’erreur une réalité démontrée au quotidien par le management.
Evitez la sur-ingénierie des processus, ne transformez pas la démarche OKR en poids supplémentaire pour les équipes.
Revoyez vos principes d’évaluation. Les OKR sont un outil d’invitation à la performance d’équipe. Attention aux collisions éventuelles avec les politiques d’évaluation et rémunération basées sur des objectifs individuels…
Célébrer les apprentissages. Cultivez la reconnaissance des apprentissages et capitalisez sur les erreurs commises, fêtez les échecs par exemple en mode “Fail Fest”
“en résumé”
Nos huit conseils pour réussir votre démarche OKR dans un contexte français :
- Ne vous contentez pas de recycler vos KPI : les OKR définissent l'avenir, les KPI mesurent le présent.
- Ne pas atteindre 100% de l’objectif n’est pas un échec : un résultat de 70% est déjà un progrès significatif.
- Travaillez l’alignement stratégique : chaque OKR doit être traçable jusqu'à la vision entreprise
- Respectez la règle des “3 maximum” : limitez-vous à 3 objectifs par niveau organisationnel.
- Limitez le nombre de niveaux d’implémentation : privilégiez une structure “OKR stratégiques - OKR tactiques”, évitez d’ajouter des strates intermédiaires.
- Focalisez-vous sur l’impact : ce sont les résultats concrets obtenus qui vous permettront d’évaluer votre progression, pas les moyens engagés
- Installez des rituels de pilotage : point hebdomadaire, revue mensuelle, revue de fin de cycle : le suivi des OKR doit faire partie intégrante de la vie des équipes
- Séparez OKR et critères d’évaluation : ne créez pas de lien direct entre OKR et mesure de la performance individuelle (et n’utilisez pas les OKR au niveau individuel)
Quelques références
- Replay de la conférence “Aligner votre stratégie d’entreprise, produit et managériale avec les OKR” donnée par une de nos coachs lors de la conférence Agile Pays Basque 2019
- Notre livre favori sur les OKR : Radical Focus de Christina Wodtke (disponible en français)
- Le TED Talk donné par John Doerr sur l’importance de se fixer des objectifs (transcription disponible en français)
- Un blog de référence très riche sur les OKR (en anglais)
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