Petite histoire d'une transition vers le management Agile

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Vive l’agilité ! Nos équipes sont auto-organisées ! Il est grand temps de se débarrasser de ce management castrateur qui empêche les équipes de décider par elles-mêmes ! Vraiment ? Et si le management pouvait au contraire être un accélérateur pour l’auto-organisation ? Et cette auto-organisation, arrive-t-elle spontanément au sein des équipes ?

Avant les équipes auto-organisées : le fonctionnement en silos

L’organisation classique est caractérisée par des silos fonctionnels: Métier/MOA, AMOA, architectes, équipes de réalisation, testeurs, opérations, etc. Chacun est spécialisé dans son domaine, mais c’est surtout l’optimisation des ressources qui motive les organisations. Ainsi le département Test, par exemple, verra son activité partagée entre tous les projets de l’organisation, leur planification se fera en fonction de la prévision de fin des développements et du planning d’occupation des membres du département. Dans ce modèle, le chef de projet doit planifier les différentes interventions de ces équipes en fonction des prévisions de fin de tâches précédentes. Voici Angelo, notre Chef de projet. Il devra négocier avec Julia, la “line manager” de l’équipe Test, pour obtenir une date de début de la phase de recette la plus optimale. Car Julia a aussi 5 autres projets pour lesquels elle doit planifier des activités de test ! C’est donc ce travail de synchronisation qui est l’essence de l’activité quotidienne d’Angelo. Il doit contrôler le respect des plannings et hélas parfois opérer des ajustements lorsque ses plannings ne sont pas respectés. Dans la pratique, il devra retourner négocier avec Julia. Son outil de travail est le magnifique diagramme créé par Henry Laurence Gantt. Angelo est bien occupé.

Ce qui change avec les équipes auto-organisées

Lorsque l’on parle d’auto-organisation, c’est justement à cette synchronisation opérée par Angelo que l’on fait référence. Au lieu de confier cette synchronisation au chef de projet, elle sera maintenant portée par l’équipe elle-même. Comment est-ce possible ? En changeant de paradigme organisationnel ! Au lieu de faire transiter le projet par plusieurs équipes, nous allons faire venir les différentes fonctions au sein d’une même équipe: développeurs, testeurs, MOA… Bonne nouvelle pour Angelo: il a enfin une équipe à lui et n’a plus besoin de quémander l’intervention de Julia et de ses collègues. Mauvaise nouvelle aussi pour Angelo: ce qui était hier son travail a disparu ! Mais nous allons y revenir. Voyons d’abord voyons les impacts de ce changement plutôt radical :

  • La synchronisation entre les tâches est plus facile: plutôt que de devoir synchroniser deux départements, le testeur n’a plus qu’à se synchroniser avec la personne assise à côté de lui. De plus, la chorégraphie du département Tests avec les différents projets a disparu.
  • Le travail a plus de sens: la finalité est désormais de livrer et faire grandir un produit par l’équipe sans se soucier des contributions individuelles, là où hier l’attention se focalisait sur l’exécution des tâches par des individus spécialisés.
  • L’optimisation de la charge semble moins bonne : elle ne peut plus être lissée entre les projets. Les membres de l’équipe doivent maintenant passer de la spécialisation à la polyvalence pour retrouver une efficacité opérationnelle. Nous allons chercher à optimiser l’atteinte du résultat, l’occupation des personnes ne sera plus optimale. Mais l’optimisation de l’occupation se fait au final au détriment du résultat.
  • Angelo ne peut plus chercher à diriger le travail de l’équipe avec son diagramme de Gantt. En fait, la nature même de son travail va changer.

En synthèse

Auto-organisé Silo
Optimisation du temps Optimisation de la charge
C’est le résultat en tant que produit qui est important C’est la bonne exécution de la tâche qui est importante
La performance est évaluée au niveau de l’équipe La performance est évaluée individuellement
Chacun décide de quand et avec qui il va collaborer La synchronisation est centralisée dans les mains du manager
Le manager porte le cadre et l’objectif Le manager gère le planning et contrôle son bon déroulement

Ce qui change dans l’équipe : de l’obéissance à l’initiative

Jusqu’ici l’image semble flatteuse. Mais pour les membres de l’équipe, c’est un changement pour lequel ils ne sont pas nécessairement prêts et pour lequel il va sans doute leur manquer des repères. En effet il ne s’agit plus seulement d’effectuer leur travail, mais de prendre des initiatives, des décisions! Nous leur demandons de cesser de suivre des instructions et d’être autonomes. C’est un virage à 180°: Hier, on leur demandait de suivre les directives d’Angelo, bref de l'obéissance. Aujourd’hui on lui demande de faire preuve d’initiative. Initiative et obéissance sont antinomiques, tout simplement. Angelo, nous avons un nouveau travail pour toi.

Auto-organisation ou laisser-aller ?

Non, l'auto-organisation, ce n’est pas le laisser-aller. Malheureusement c’est ce qui arrivera si Angelo abandonne son ancienne mission sans savoir comment mener à bien la nouvelle. C’est Dan Pink, dans son ouvrage “Drive” qui nous donne les 3 clés de l’auto-organisation:

  • La maîtrise
  • Le sens
  • L’autonomie

Voyons comment notre manager va pouvoir mener à bien sa nouvelle mission: guider son équipe !

Donner du sens

Peu importe les messages et autres communications qu’Angelo s’efforcera de faire passer, c’est ce qu’il mesure qui induira les comportements de son équipe. Ainsi hier le centre d’attention était l’avancement sur le diagramme de Gantt. C’était le franchissement du jalon et l’exécution de la tâche associée qui comptait. C’est une vue Tayloriste du travail qui ne devrait d’ailleurs pas nous surprendre: Henry Laurence Gantt (dont nous avons évoqué le nom plus haut) travaillait en effet pour Frederick Winslow Taylor, dont le nom vous est sans doute familier… C’est au résultat qu’Angelo doit désormais s’intéresser: comment évaluer la progression vers l’objectif final ? Car mesurer le temps passé, si cela est facile à faire, n’est pas significatif par rapport à l’atteinte du résultat. En quoi le travail effectué par l’équipe apporte une contribution à l’entreprise ? C’est là que réside le sens de l’effort réalisé par l’équipe. Les moyens mettre cela en évidence sont multiples : sessions interactives, rencontres avec des clients ou d’autres services, visites sur le terrain. Le manager va donc agir sur deux axes :

  • Changer les critères d’évaluation du succès, en excluant activement des indicateurs qui passent les mauvais messages.
  • Permettre à chacun des membres de l’équipe d’appréhender l’impact de sa contribution afin de créer l’engagement.

Aider l’équipe à progresser en maîtrise

Il n’y a pas qu’Angelo qui a dû redéfinir ses missions. Julia, la manager de l’équipe Tests a également perdu sa mission d’origine. Elle a aussi perdu son équipe, d’ailleurs, ou presque: ils se sont retrouvés rattachés à des équipes projet. Il ne lui reste plus qu’une poignée d’experts sur des sujets pointus qui interviennent en mode commando sur les projets. Elle-même n’a pas souhaité rejoindre un projet. Passionnée par les tests, elle est devenue responsable du Pôle d’excellence Tests de l’organisation. C’est à Julia qu’Angelo s’est adressé pour aider ses testeurs à gagner en maîtrise. De quoi Sarah et Yvan ont-ils besoin pour avoir confiance en leurs capacités ? Quels savoir-faire doivent-ils acquérir pour gagner en autonomie ? C’est avant tout à eux de répondre à cette question, le manager est là pour les aider à prendre conscience de leurs besoins. Ces savoir-faire, il faudra les ancrer dans une réalité opérationnelle. C’est à Angelo de créer les opportunités pour mettre en pratique de nouvelles connaissances ou de nouveaux savoir-être, en s’appuyant sur des savoirs qu’ils maîtrisent déjà. Un pied dans la zone de confort et un pied dans la zone d’inconfort. En permettant à Sarah et Yvan de s’appuyer sur leurs connaissances existantes, Angelo va leur donner la possibilité d’obtenir des réussites et de ne pas perdre pied. En les mettant dans une situation où ils doivent développer de nouvelles compétences, il les met en situation de progresser et d’apprendre. Armés du sens et de la maîtrise, l’équipe est prête pour l’auto-organisation. Il ne lui manque plus que le dernier pilier.

L’autonomie: le non-choix de la confiance

Quand on a vécu longtemps dans un mode directif, et même si l’on s’en est souvent plaint, l’autonomie ressemble un peu à un sevrage. Allez donc en parler à Yann, le développeur, qui vient d’aller voir Angelo pour savoir quelle est la prochaine tâche à faire, ou à Marie-Claire qui juste après, lui a demandé de valider le plan de déploiement ! C’est un nouveau changement que doit accepter Angelo. Il s’exprime simplement mais est bien plus difficile à mettre en œuvre :

  • Il y a des décisions qu’il doit maintenant arrêter de prendre.
  • Il y a des questions auxquelles il doit désormais refuser de répondre.

Tout cela ne se fait pas à la légère. Le point clé en est le modèle de décisions: quelles décisions peuvent être descendues au niveau de l’équipe ? Lesquelles peuvent être prises unilatéralement et lesquelles seront opérées en collaboration ? Ce n’est pas du “tout ou rien” et cela demande une réflexion au cas par cas : Qui décide de la stratégie de test ? Comment sont entérinés les choix d’architecture ? De quelle façon décide-t-on de déployer l’application ? Ces décisions ne s’arrêtent pas aux questions opérationnelles, elles peuvent s’étendre au fonctionnement de l’équipe. Marie-Claire a ainsi proposé que la prise de congés des ops soit décidée entre eux, en s’engageant sur les astreintes. Jurgen Appelo a proposé un excellent atelier pour opérer ces choix : le délégation poker. Mais si l’on veut “abaisser le barycentre décisionnel” vers l’équipe, il y a un préalable incontournable : la confiance réciproque entre l’équipe et le manager. La confiance, surtout entre un manager et son équipe, est une relation bien difficile à développer. Il n’y a guère de recette magique concernant le manager agile, il y en a encore moins en ce qui concerne la confiance. C’est donc avec fébrilité que Angelo google “confiance”, pour tomber rapidement sur la fameuse citation “la confiance n’exclut pas le contrôle”. Il découvre d’ailleurs à cette occasion qu’il s’agit d’une citation de Vladimir Lenine ! Hélas, cette assertion ne saurait être plus fausse. Car justement oui, la confiance exclut le contrôle. Si je contrôle (je ne parle pas de transparence), c’est que je n’ai pas confiance. Que vont penser de moi les membres de mon équipe si j’affirme leur accorder votre confiance et que mes actes me contredisent ? Cela va même plus loin: le manque de confiance se traduira dans le comportement de mon équipe. Si je ne fais pas confiance, mon équipe se débrouillera pour me donner raison ! Il n’y a pas d’alternative à la confiance. En poursuivant ses recherches, Angelo découvre parfois des conseils, le plus souvent des idées assez générales, mais pas de ligne de conduite claire qui vont lui permettre d’atteindre cette confiance, y compris dans le présent article. Mais quelques lignes directrices peuvent servir de guide :

  • La confiance doit être réciproque, sinon c’est un marché de dupe.
  • Le droit à l’erreur est incontournable. Certains appellent cela le “droit à apprendre”, peut-être parce que la notion d’erreur leur fait peur ? En réalité, nous faisons tous des erreurs. Et oui, utilisons-les pour apprendre.
  • Comme le dit Jean-François Zobrist, ne managez pas pour les 3%. Les resquilleurs existent, mais ils sont (très) minoritaires. Ne faites pas peser sur les 97% des règles conçues pour les 3%. Vous risqueriez d’ailleurs d’en faire passer certains du côté des 3% !

2 mois plus tard

Angelo est dans le bureau de Valery, le directeur de l’unité. Ils échangent autour d’un café. “Alors Angelo, que penses-tu de ce passage à l’auto-organisation ?” “Ce n’est pas facile. J’ai dû abandonner un fonctionnement bien codifié contre un management tourné vers l’humain où rien ne l’est. Avec le recul, c’est évident que mon travail est que mon équipe donne le meilleur d’elle-même. Car ma réussite, c’est la réussite de l’équipe. Ce n’était simplement pas possible quand je jouais au contremaître.” “Et si tu devais résumer ce que tu as appris en quelques points ?” “C’est difficile. J’essaie !

  • Se focaliser sur la finalité, sans dicter le “comment”.
  • Permettre aux personnes qui doivent coopérer pour obtenir un résultat de travailler ensemble et les laisser collaborer. Arrêter d’essayer de synchroniser à leur place et de régenter.
  • Déléguer vers l’équipe ce qui est pertinent de l’être, pour permettre l’autonomie, sans abdiquer ma responsabilité.
  • L’engagement vient avec la confiance, et confiance est antinomique de contrôle.
  • Aider les personnes à grandir car c’est aussi un facteur d’engagement et ce sont elles qui apportent de la valeur à l’organisation.”

Hier, les choses étaient simples : les recettes étaient claires pour manager autour du diagramme de Gantt. Pour manager autour du sens, il n’y a plus de recettes, simplement des expériences que l’on peut partager.

Et l’agilité ?

L’auto-organisation, ce n’est pas spécifique à l’agilité. Mais c’est un des piliers des organisations agiles. Et l’agilité apporte ses petits ingrédients pour construire ce cadre managérial. C’est ce que nous verrons lors du second volet.


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